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CHERIF, BLOGUEUR DU TCHAD 2.0
CHERIF, BLOGUEUR DU TCHAD 2.0
18 juillet 2016

Le massif de l'Ennedi, et après ?

Le massif de l’Ennedi rejoint les lacs d’Ounianga dans la liste des sites naturels tchadiens classés par l’UNESCO (Organisation des Nations unis pour l’éducation, la science et la culture) dans son patrimoine mondial. Parfait ! Mais quelle(s) politique(s) adopter pour valoriser ce patrimoine, pour rendre viable une économie du tourisme au Tchad ? L’office tchadien du tourisme tente d’apporter des réponses. Mais le choix de son consultant, un Français de 69 ans aux méthodes désuètes, laisse à désirer. Explications.

ounianga

Alors que le massif de l’Ennedi a été classé dans le patrimoine mondial de l’UNESCO ce dimanche 17 juillet lors de la 40e session du comité du patrimoine mondial à Istanbul en Turquie, l’Office tchadien du tourisme (OTT) s’apprête à confier la gestion, le développement et le positionnement marketing du secteur à Jean Sécheresse, un retraité français « attaché à l’Afrique ».

Avec une voix roque et posée qui inspire le respect, Jean Secheresse a l’assurance des gens qui pensent avoir des réponses à tout. Sans hésiter, il a accepté de répondre à un entretien téléphonique dans lequel il se voulait très technique en évoquant sans cesse les aléas liés « à la sécurité ». Je souhaitais par contre qu’il me parle de chiffres, des retombées tangibles de son travail dans les deux pays africains pour lesquels il a travaillé et de vision à long termes pour le tourisme tchadien. Mais je suis resté sur ma faim. Rien que pour cela, je suis sceptique sur la capacité de ce consultant a aidé le Tchad dans son développement touristique.

Je ne doute pas des compétences intrinsèques de l’homme. Mais plutôt sur ses capacités d’adaptation à un monde en perpétuel mouvement. Un monde hyper connecté dans lequel les métadonnées sont la base de toutes décisions. Si je parle de bigdata, c’est pour souligner que Jean Sècheresse est aux antipodes de cette approche. Quand on lui évoque AirBNB, Trip-Advisor ou autres, il botte en touche avec un méprisant « Au Tchad on n’en est pas là ». Pour lui, notre pays est encore à l’Etat primitif du Tourisme. Il n’a certes pas tort mais être aussi péremptoire et négatif vis-à-vis de ses clients est un peu osé. Cette attitude n’augure rien de bon pour les 5 ans à venir. Car c’est la durée du contrat signé par Sécheresse Consultants, son agence de….on ne sait pas trop, avec l’OTT. Il se présente comme « un bureau d’étude de développement touristique qui collabore avec les collectivités locales en France et avec les Etats d’Afrique depuis plus de 40 ans. »  Mais Jean Sècheresse parle également « d’un plan marketing ». Le développement touristique et le marketing son deux domaines bien distincts. Le second ne faisant que soutenir le premier. Un mélange de genre qui n’augure rien de bon (une fois de plus). Va-t-il confier cette mission de marketing, qui n’est pas son core business, à un autre bureau d’études ? Si tel est le cas je peux parier avec vous que ce ne sera pas un tchadien (car « on n’en est pas (encore) là » ?) !

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Analysons Jean Sècheresse

L’opacité dont il fait preuve n’est pas en phase avec la tendance actuelle. Il est sur LinkedIn, mais n’est pas actif. Absent de Facebook, de Twitter. La page internet de son agence (Sècheresse Consultants) est par contre bien renseignée, mais pas grand-chose sur lui en tant que tel : âge et formation(s) par exemple. Rien non plus sur une compétence quelconque en communication ou sur un programme d’envergure nationale. Une expérience au Togo durant l’année 2014 et une secondes au Burkina Faso sont à mettre à l’actif du vieil homme. Mais ces missions s’apparentent plus à du développement microéconomique, qu’à des actions d’envergure en communication touristique. Au Togo, le rôle du « consultant » peut s’apparenter à celui que lui a confié l’OTT.  A la question « quelles sont les résultats, les retombées de votre travail au Togo ? », Jean Sècheresse a une nouvelle fois botté en touche (il aurait dû être rugbyman, ça aurait été un excellent arrière) : « Je fais mes propositions et les Etats font ce qu’ils veulent. Je ne peux pas me substituer aux dirigeants des pays pour lesquels je travaille. » Et de poursuivre « au Togo par exemple, nous avons établi notre rapport mais entretemps le ministre a changé et rien n’a été fait. » A l’entendre, ce cas de figure (laisser les rapports dans les tiroirs) est monnaie courante.

Et on poursuit : « Jean Secheresse, cela ne vous gêne pas de prêcher dans le désert ? Pourquoi continuez-vous à travailler si vos recommandations ne sont jamais prises en compte ? Ou alors c’est juste pour vous faire de l’argent ? » C’est là que le presque septuagénaire me sort son argument trémolo, à savoir son attachement à l’Afrique. J’étais xptdrrr, mais j’ai dû garder mon sérieux pour la suite de l’entretien. Le paternalisme postcolonial n’est pas loin.

Le travail de cet habitant de Néons-sur-Creuse (où est-ce ?) s’apparente à un tourisme humanitaire. Des projets de petites envergures tels que le développement de randonnées cyclistes dans l’Avesnois en France ou encore la promotion du potentiel artisanal de Bagré au Burkina Faso. Pas très impressionnant et insuffisant pour prétendre développer le tourisme de notre pays. En portant son choix sur ce bureau d’étude, l’OTT fait preuve d’un manque d’ambition notoire pour le Tchad et d’une vision étriquée pour un secteur aussi porteur.

Les avantages de l’arriération

A l’heure où les startups dynamiques et innovantes sont cotées, choyées et courtisées de tout part, notre Office se ringardise et manque de vision. Jean Sécheresse, ses méthodes et son approche sont surannés. D’une autre époque. Cette option ne m’étonne pas plus que ça. Les dirigeants de l’OTT ne sont pas très réactifs, travaillent à un rythme de sénateurs et avec un mindset « fonctionnaire de base ». Rien à voir donc avec le « dotcomlifestyle » des dynamiques et innovantes sociétés de développement touristique françaises qui cartonnent actuellement : « Welcomecitylab », « Sépage », « Day Use », « Kazaden », « TripnCo » ou encore « BubbleGlobe » pour ne citer que celles-là.  Lorsque nous évoquons ce type d’acteurs dans le développement touristique, Jean Sècheresse s’offusque presque en disant « votre pays n’a pas encore ce niveau de développement et l’offre n’existe pas. A part les deux ou trois hôtels de N’Djaména et le parc de Zakouma, vous avez quoi ? » C’est déjà 3 offres avec lesquelles nous pouvons commencer à travailler monsieur, car « Rome ne s’est pas faite en un jour ». Dans son schéma mental « vielle école », le nouveau partenaire de l’OTT pense qu’il faut partir de 0, avec des méthodes des années 1980. Je dis non ! Nous souhaitons rattraper notre retard et non pas demeurer à la traine. Il y a certes des étapes, une méthodologie à mettre en place. Mais de grâce, il faut que Jean Sécheresse cesse de voir l’Afrique en général et le Tchad en particulier comme des isolats de développement. Je lui conseille à ce titre de lire une étude publiée par des économistes américains intitulée « The advantages of backwardness ». Claire Gatinois, journaliste du quotidien Le Monde, s’est attardée sur cette théorie dans l’un de ses articles paru en 2013. Elle explique donc que « Les économies africaines brûleraient les étapes de la croissance en profitant des "greffes" technologiques, grâce aux innovations (…). Un développement version 2.0 qui permettrait aux pays de gagner des décennies à l'image des croissances fulgurantes des pays asiatiques – Corée du Sud, Taïwan, Hongkong et Singapour – dans la deuxième moitié du XXe siècle.»

Haikal Zakaria doit impulser une nouvelle donne

 

haikal

A défaut des startups françaises citées plus haut, l’OTT pourrait se tourner vers des Tchadiens. Brillants, innovants et maitrisant les technologies et leur développement. Des exemples ? Mamadou Djimtebaye, le PDG de Sao média, est un entrepreneur qui a une vision. Il pourrait agréger autour de lui les compétences nécessaires pour développer sur le long terme le secteur touristique. Il aura une certaine audibilité et cette proximité dont ne bénéficierons jamais les consultants étrangers. Sans compter sa dualité géographique, car il connait aussi bien le Tchad que le reste du monde. D’autres ? Les génies des algorithmes et du bigdata que sont les geeks du collectif WenakLabs. Ils peuvent développer n’importe quel programme si on leur en donne l’occasion, le temps et les moyens nécessaires. Sur le plan commercial/marketing, Andreas Koumato, le promoteur de moussosouk.com, est à la pointe des techniques de ventes (traditionnelles et/ou numériques). Ces Tchadiens cultivés, diplômés et vivant dans leur temps souhaitent gagner leur vie en aidant leur pays. Ils rêvent de fédérer le tourisme tchadien afin de le labéliser et de le rendre visible. Ils rêvent d’un tourisme innovant, d’une vraie économie touristique et non pas de programmes de voyages à 1 500 euros qui ne profitent qu’aux seuls tour operator. Ils rêvent de drainer les dollars des pays émergents (Chine, Emirats, Qatar, Russie, Mexique, Brésil, Inde, Afrique du sud, etc.) en développent une offre touristique de luxe à des gens qui ont besoin de dépaysement ; à l’instar des parcs kényans qui offrent des séjours allant jusqu’à 30 000 dollars la semaine. Ils rêvent de diversifier le tourisme tchadien, en organisant de grands évènements (sport et show-business, etc.). Plus que leurs rêves, ils souhaitent mettre leurs compétences à l’épreuve du travail. Un travail qui ne se fera pas en cinq ans.

Cela fait plus de 3 ans que j’arpente les couloirs de l’OTT. Et depuis je n’ai constaté aucune évolution, aucun changement dans ce secteur. Le FICSA (Festival international des cultures sahariennes) ? Excellent concept, mais hélas trop tchado-tchadien dans sa déclinaison. Le Treg de l’Ennedi ? Génialissime, mais hélas pas assez médiatisé. Le message que je souhaite passer à Haikal Zakaria, tout frais directeur de l’OTT, est de considérer le secteur comme un pourvoyeur de fonds, d’emploi et de le voir comme un atout de séduction pour le Tchad sur la scène internationale. Mais surtout de faire la part des choses et ne pas laisser des vendeurs d’illusions nous refourguer des programmes inutiles.  Car l’option Jean Sécheresse n’est rien d’autre que de l’argent jeté par les fenêtres. Les lacs d’Ounianga et le massif de l’Ennedi méritent mieux.

Chérif ADOUDOU ARTINE

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